Rencontre à Brousse
C’était dans les années 1990. J’avais travaillé comme assistant parlementaire, à l’Assemblée nationale, durant mes études de droit.
Une fois devenu avocat, j’ai continué de passer certaines de mes vacances chez mon ancien patron de député, qui possédait un presbytère désaffecté, dans une commune de la Creuse dénommée Brousse. Tout cela sentait la villégiature, loin de la politique parisienne et de la salle des Quatre Colonnes. Brousse était tout juste une commune, où ne résidaient qu’une poignée de citoyens, répartis sur une immense étendue d’eau et de pâturages ; à peine suffisamment nombreux pour que, en droit, le village puisse perdurer. On y mangeait, et on y mange toujours, des gâteaux de pommes de terre, à l’ombre de Jouhandeau.
Le presbytère, l’église – pas tout à fait déchristianisée puisque, une fois par mois, le curé d’Aubusson venait y évangéliser – et le minuscule cimetière local étaient situés non loin de la route départementale, au bord d’une mare. Au carrefour, l’entrée du lieu-dit, se dressait fièrement le panneau “Brousse”.
Mon ami député, archéologue amateur (ce qui justifiait son échouage dans une terre si esseulée mais nantie de vieilles pierres), et moi-même passions des jours sur des chaises longues à lire, en faisant mine de contempler la pièce d’eau et la route qu’une voiture empruntait au mieux toutes les deux heures.
Un matin de ce mois de juillet, nous vîmes s’installer à cinquante mètres de notre station deux individus déterminés, équipés de matériel photographique. Ils s’installèrent avec un matériel en apparence d’importance, à l’entrée de la commune, à l’endroit même où le panneau indiquait bravement le nom de la municipalité. Celle-ci ne semblait guère s’en émouvoir : le bâtiment de la mairie, une pièce pouvant à peine contenir les huit édiles élus parmi la dizaine d’habitants, restait désespérément vide et impassible.
Mon hôte et moi plongeâmes pour la journée dans nos lectures, commentant à peine, de temps à autre, les curieux visiteurs du jour, qui n’avaient pas quitté leur poste jusqu’à l’arrivée de la nuit.
Le lendemain matin, la pluie avait pris possession de Brousse. Réfugiés devant nos bols de café, méditant sur les tristes heures à venir, nous remarquâmes l’apparition opiniâtre des deux employés de ce qui ne pouvait être, à en croire mon spécialiste d’ami, que la direction départementale de l’Équipement.
Pétris d’humanisme, nous finîmes par aller inviter le tandem de naufragés à venir boire une prune mâtinée de chicorée. Qu’ils refusèrent, car l’un était Olivier Leroi et l’autre son assistant.
Quoique rompus à aimer les arts, nous avons mis un certain temps à comprendre le sens du travail d’Olivier, à qui nous avons même proposé de déplacer nos voitures qui figuraient dans le champ de l’objectif. Tout est resté intact pour le cliché, bien entendu.
Et de retour à Paris, j’ai découvert pour de bon le travail d’Olivier. J’ai pu contempler les images de ces villages de Brousse et de Lacan dont il a su tirer des séries d’œuvres photographiques.
Ces photographies, dont un double tirage orne mes murs à présent, sont révélatrices d’un temps, d’une heure, de lieux, d’une toponymie aussi. Ces diptyques sur Lacan et Brousse opposent un médecin, utopiste communard, au célèbre psychanalyste.
Olivier Leroi possède de l’humour et du talent : il performe, installe, photographie, colle, construit et découpe. Il est l’insatiable portraitiste de nos travers contemporains qu’il saisit hors du temps et extrait de leur quotidien, voire de leur univers, pour les transformer en des scènes sensuellement uniques, se dévoilant à nos regards émerveillés et étonnés.
Olivier sait aussi garder à juste distance les sujets dont il s’empare, afin de maintenir ces intouchables dans le fascinant monde parallèle qu’il façonne image après image, série après série, saison après saison.
C’est ainsi que, chez lui, tout sujet – le pays dogon, un village français, une plume d’oiseau ou encore une brindille – devient une œuvre d’art, et que nous assistons, impuissants mais avec enchantement, à cette métamorphose qui est la grâce d’un grand artiste.
J’ai vendu, il y a bientôt vingt ans, la Twingo qui sert de décor à Brousse, mais je possède aujourd’hui, fort de mon titre d’avocat d’artistes, cinq œuvres d’Olivier. Voilà où mènent l’alcool et le café en Creuse, un jour de pluie.
Emmanuel Pierrat
2015
C’était dans les années 1990. J’avais travaillé comme assistant parlementaire, à l’Assemblée nationale, durant mes études de droit.
Une fois devenu avocat, j’ai continué de passer certaines de mes vacances chez mon ancien patron de député, qui possédait un presbytère désaffecté, dans une commune de la Creuse dénommée Brousse. Tout cela sentait la villégiature, loin de la politique parisienne et de la salle des Quatre Colonnes. Brousse était tout juste une commune, où ne résidaient qu’une poignée de citoyens, répartis sur une immense étendue d’eau et de pâturages ; à peine suffisamment nombreux pour que, en droit, le village puisse perdurer. On y mangeait, et on y mange toujours, des gâteaux de pommes de terre, à l’ombre de Jouhandeau.
Le presbytère, l’église – pas tout à fait déchristianisée puisque, une fois par mois, le curé d’Aubusson venait y évangéliser – et le minuscule cimetière local étaient situés non loin de la route départementale, au bord d’une mare. Au carrefour, l’entrée du lieu-dit, se dressait fièrement le panneau “Brousse”.
Mon ami député, archéologue amateur (ce qui justifiait son échouage dans une terre si esseulée mais nantie de vieilles pierres), et moi-même passions des jours sur des chaises longues à lire, en faisant mine de contempler la pièce d’eau et la route qu’une voiture empruntait au mieux toutes les deux heures.
Un matin de ce mois de juillet, nous vîmes s’installer à cinquante mètres de notre station deux individus déterminés, équipés de matériel photographique. Ils s’installèrent avec un matériel en apparence d’importance, à l’entrée de la commune, à l’endroit même où le panneau indiquait bravement le nom de la municipalité. Celle-ci ne semblait guère s’en émouvoir : le bâtiment de la mairie, une pièce pouvant à peine contenir les huit édiles élus parmi la dizaine d’habitants, restait désespérément vide et impassible.
Mon hôte et moi plongeâmes pour la journée dans nos lectures, commentant à peine, de temps à autre, les curieux visiteurs du jour, qui n’avaient pas quitté leur poste jusqu’à l’arrivée de la nuit.
Le lendemain matin, la pluie avait pris possession de Brousse. Réfugiés devant nos bols de café, méditant sur les tristes heures à venir, nous remarquâmes l’apparition opiniâtre des deux employés de ce qui ne pouvait être, à en croire mon spécialiste d’ami, que la direction départementale de l’Équipement.
Pétris d’humanisme, nous finîmes par aller inviter le tandem de naufragés à venir boire une prune mâtinée de chicorée. Qu’ils refusèrent, car l’un était Olivier Leroi et l’autre son assistant.
Quoique rompus à aimer les arts, nous avons mis un certain temps à comprendre le sens du travail d’Olivier, à qui nous avons même proposé de déplacer nos voitures qui figuraient dans le champ de l’objectif. Tout est resté intact pour le cliché, bien entendu.
Et de retour à Paris, j’ai découvert pour de bon le travail d’Olivier. J’ai pu contempler les images de ces villages de Brousse et de Lacan dont il a su tirer des séries d’œuvres photographiques.
Ces photographies, dont un double tirage orne mes murs à présent, sont révélatrices d’un temps, d’une heure, de lieux, d’une toponymie aussi. Ces diptyques sur Lacan et Brousse opposent un médecin, utopiste communard, au célèbre psychanalyste.
Olivier Leroi possède de l’humour et du talent : il performe, installe, photographie, colle, construit et découpe. Il est l’insatiable portraitiste de nos travers contemporains qu’il saisit hors du temps et extrait de leur quotidien, voire de leur univers, pour les transformer en des scènes sensuellement uniques, se dévoilant à nos regards émerveillés et étonnés.
Olivier sait aussi garder à juste distance les sujets dont il s’empare, afin de maintenir ces intouchables dans le fascinant monde parallèle qu’il façonne image après image, série après série, saison après saison.
C’est ainsi que, chez lui, tout sujet – le pays dogon, un village français, une plume d’oiseau ou encore une brindille – devient une œuvre d’art, et que nous assistons, impuissants mais avec enchantement, à cette métamorphose qui est la grâce d’un grand artiste.
J’ai vendu, il y a bientôt vingt ans, la Twingo qui sert de décor à Brousse, mais je possède aujourd’hui, fort de mon titre d’avocat d’artistes, cinq œuvres d’Olivier. Voilà où mènent l’alcool et le café en Creuse, un jour de pluie.
Emmanuel Pierrat
2015